BODIE GHOST TOWN - CALIFORNIE
ARTICLE & PHOTOS de ROLAND ROTH
BODIE (California)
Bodie est la plus célèbre des villes minières fantômes de l'Ouest des Etats-Unis, une ville fantôme qui est située en Californie dans le comté de Mono, côté Est de la Sierra Nevada à une altitude de 2 550 m.
A cette altitude, les hivers sont souvent très rudes et il arrive parfois que la neige bloque la seule route d'accès qui devient alors totalement impraticable.
La ville se situe au nord de Lee Vining et de Mono Lake, entre Yosemite, la Vallée de la mort et le lac Tahoe.
On y est plongé en plein Western.
L’Ouest américain compte de nombreuses villes fantômes qui datent de l’époque de la ruée vers l’or où des villes sont sorties de terre en un éclair comme des champignons.
Après l’épuisement des ressources de ces mines, celles-ci et les villes attenantes ont été tout simplement abandonnées aussi vite qu’elles avaient été construites.
C’est le cas de Bodie.
Les fantômes rôdent toujours autour de ces bâtiments abandonnés et en marchant à l’intérieur, les planchers craquent sous les pieds d’une façon inquiétante.
En se promenant dans cette « Ghost Town », qui est figée dans son époque, on a l’impression que dans la Main Street à chaque moment un duel est en cours et qu’un virevoltant (les boules d’herbes sèches des films western) est actionné par le vent et traverse la rue.
On s’attend à tout moment à voir une diligence ou une calèche s’engouffrer en trombe au bout de la rue principale.
Voici l’histoire de BODIE ……
En 1859, pendant la ruée vers l'or en Californie, Wakeman S. Bodey, qui fut l'un des quatre prospecteurs qui découvrirent le premier filon à cet endroit, y découvrit de l'or et donna ainsi son nom à ce camp minier (avec une petite déformation de son nom).
Selon le juge J.G. McClinton, le nom a été changé en « Body » (corps) et quelques autres variations phonétiques qui aboutissaient finalement à « Bodie ».
C’est aussi en novembre 1859 que W.S. Bodey périt dans une tempête de neige après un voyage d'approvisionnement à Monoville. On retrouva son corps congelé peu de temps après.
Auparavant, il s'était construit une cabane en bois dans la future Green Street de Bodie.
En 1876, la « Standard Company » s’intéressa à exploiter ce filon d’or et le petit camp minier de quelques prospecteurs se transforma vite en une ville en pleine effervescence, une « Wild West boomtown », qu'on nomma alors Bodie.
Le premier journal du comté de Mono « The Standard Pioneer » a publié sa première édition le 10 octobre 1877. Il a commencé comme hebdomadaire, mais il parut bientôt trois fois par semaine.
C'était également à cette époque qu'on a établi une ligne de télégraphe qui a relié Bodie à Bridgeport et à Gênes au Nevada.
Les journaux de Californie et du Nevada ont prédit que Bodie deviendrait le prochain filon genre Comstock (Nevada).
En 1879, Bodie avait une population avec approximativement 5 000 à 7000 personnes.
La quantité d'or extraite à Bodie a été évaluée à 34 millions de dollars.
Les chargements d’or en partance de la mine étaient acheminés jusqu'à Carson City dans le Nevada, en passant par Aurora, Wellington et Gardnerville.
Les cargaisons étaient escortées par des gardes en arme.
Après avoir atteint Carson City, les lingots d’or furent envoyés par chemin de fer à San Francisco.
En 1880, la population de Bodie avait augmenté à 10 000 habitants et la ville fut la deuxième ville de Californie de l'époque et elle était composée d’environ 2.000 maisons.
Les chercheurs d’or ont afflué en masse malgré les conditions difficiles de cet endroit perdu blotti en plein désert, brûlant sous le soleil de plomb de l’été et entièrement glacé en hiver.
A l’apogée de la ville minière de Bodie, on y trouvait deux banques dont la Wells Fargo Bank, une voie de chemin de fer, plusieurs journaux, une prison, un bureau de poste, 4 postes de pompiers volontaires, une centrale électrique, une école, des boutiques, des magasins, des ateliers, un gymnase, une fanfare, une association de syndicats d’ouvriers mineurs, un cimetière, une salle de bal, un quartier chinois, des tripots et des bordels... mais pendant longtemps pas d'église.
Ce n'est qu'en 1880 que fut construite l'église Méthodiste qui est toujours en place.
Mais il y avait surtout 65 saloons sur Main Street longue d'un peu moins de deux kilomètres.
Bodie était un mythe du Far West sauvage avec une réputation d’une ville sans foi ni loi, avec ses meurtres et ses assassinats, des fusillades (le panneau « Shell » de la station d'essence de Bodie porte encore aujourd'hui des traces d'impacts de balles), des bagarres et règlements de comptes, des agressions en tous genres, vols à main armée et hold-up de banques et de diligences, de la prostitution et des ravages de l'alcool, de l'héroïne et de l'opium.
Bodie ne connut pas, comme à Tombstone ou Dodge City, les frères Earp et Doc Holliday sillonnant les rues de la ville, mais elle fut pas moins dangereuse et il était difficile d’y faire régner la loi.
Bodie fut à l'origine de l’expression « Bad Man from Bodie » qui, dans tout le pays désigna bientôt un individu peu recommandable, un truand, un bagarreur et un meurtrier de sang-froid.
L'histoire d'un certain Washoe Pete, un truand bagarreur qui sortait son Colt pour n’importe quelle occasion, fut publiée en 1878 dans le « San Francisco Argonaut ».
La voici.
Un beau jour, dans un des saloons de Bodie, il chercha des noises à un petit expert des Mines, malingre et timide qui dégusta tranquillement sa bière sans rien demander à personne.
Mais le petit expert ne se laissa pas intimider et il envoya le truand au sol d'un impressionnant uppercut et offrit ensuite une tournée générale à l’ensemble des clients du saloon.
Il y a aussi les aventures de John Bresnan et James Blair qui s'entretuèrent mutuellement le 15 janvier 1878. Des centaines et des centaines d’homicides ont suivi.
Bodie est ainsi devenue la ville maudite avec une réputation sulfureuse qui s’ébruitait au-delà des frontières de l'état.
Comme dans d'autres villes minières, Bodie a eu un quartier populaire, bien que clandestin, le secteur de lumières rouges à l'extrémité nord de la ville.
On dit que Rosa May, fille d'immigrés irlandais, une prostituée, est venue à l'aide des hommes de la ville quand une épidémie sérieuse frappa la ville pendant l'hiver 1911/1912.
Elle est créditée d’avoir donné des soins à beaucoup d’entre eux avant d'être elle-même emportée par la maladie.
Elle fut enterrée en dehors du cimetière de la ville.
Bodie a aussi eu son Chinatown avec plusieurs centaines de résidents mineurs chinois et ils avaient même construit un temple Taoïste.
Les boutiques et fumoirs d'opium étaient abondants dans ce secteur.
Bodie a également eu un cimetière en périphérie de la ville et une morgue accolée qui fut le seul bâtiment de la ville construit en briques rouges, probablement pour que l'isolation maintienne une température régulière pendant les hivers froids et les étés chauds.
Parlons un peu de la célèbre Madame Mustache, cette flamboyante tenancière de tripots et aussi pourvoyeuse de filles de joie.
Son vrai nom était Eleanor Dumont, d'origine française.
Elle fut surnommée Madame Mustache à cause du fin duvet qui ornait sa lèvre supérieure.
Elle avait traversé tout l'Ouest sauvage et elle avait résidé notamment Tombstone en Arizona. Elle était connue comme une femme généreuse.
Au soir du 9 septembre 1879, Madame Mustache, suite à des déboires financiers dans son établissement « Le Magnolia » qu'elle gérait à Bodie, sortit et se dirigea vers les collines autour de Bodie. Le lendemain matin, on retrouva son corps et à côté il y avait un flacon d'héroïne et un petit mot disant qu'elle ne voulait plus vivre.
Les habitants de Bodie firent à Madame Mustache un enterrement grandiose.
On fit spécialement venir pour l'occasion un superbe corbillard de Carson City situé à plus de 200 km et la cérémonie fut vraiment exceptionnelle.
Les premiers signes de la baisse des activités de Bodie se firent sentir dès 1880. Les booms prometteurs des exploitations minières de Butte au Montana, de Tombstone en Arizona et de l’Utah attirèrent les mineurs de Bodie.
Après enrichissement rapide des mineurs de Bodie, pendant les années 1870, ceux-ci partirent donc vers d’autres horizons miniers plus rentables et transformèrent ainsi Bodie en communauté familiale.
En dépit de la baisse de population, les mines étaient toujours florissantes en 1881 et la production du minerai de Bodie avoisinait les 3,1 millions de dollars.
En 1881, un chemin de fer à voie étroite a été construit, appelé « Bodie Railway & Lumber Company », qui apportait le bois de charpente, le bois de chauffage et le bois de construction sur le lieu d'extraction.
En 1890, le processus d’extraction avec le cyanure, récemment inventé, a été mis en place.
En 1892, la « Standard Company » a construit sa propre usine hydro-électrique approximativement à 13 milles (20,9 kilomètres) de là.
L'usine développa une puissance de 130 chevaux (97 kilowatts) 3.530 volts en courant alternatif.
Cette installation pilote a été une des premières du pays à transmettre l'électricité sur une longue distance.
Puis Bodie fut progressivement abandonnée à la suite de deux gros incendies en 1892 et 1898 qui ravagèrent une bonne partie de la ville qui ne comptait alors qu’un peu plus de 1500 habitants.
Une histoire raconte que l’incendie a été provoqué par un petit garçon de deux ans et demi qui jouait avec une boîte d’allumettes.
En 1910, la population enregistrée fut de 698 personnes composée principalement de familles qui ont décidé de rester à Bodie.
En 1912 a eu lieu la parution du dernier journal de Bodie, le « Bodie Miner ».
Les bénéfices de l’extraction en 1914 étaient au plus bas avec 6.821 dollars.
En 1917, le « Bodie Railway » a été abandonné et ses rails ont été ferraillées.
En1920, la population de Bodie était de 120 personnes.
En dépit de cette baisse, la ville a eu des résidents durant la majeure partie du 20ème siècle, même après qu'un feu ait ravagé une grande partie du district des affaires du centre de la ville en 1932. Le bureau de poste était actif à Bodie de 1877 à 1942.
La dernière mine s'est fermée en 1942, suite à la loi L-208 arrêtant toutes les mines d'or non essentielles à l’effort de guerre des Etats-Unis. L’extraction n’a jamais repris.
Pendant les années 40, une menace de vandalisme planait sur la ville fantôme et des gardiens ont été engagés pour protéger et maintenir les structures de la ville.
Martin Gianettoni fut également gardien et il était une des trois dernières personnes résidant à Bodie en 1943.
Aujourd'hui, Bodie est préservée dans un état de délabrement contrôlé, un état de préservation et non de restauration, c’est ce qui rend Bodie différente des autres « ghost town » historiques.
Seulement une petite partie de la ville a survécu.
L'intérieur des bâtiments a été laissé tel que lors de son abandon.
A travers les vitres sales, on distingue encore d'émouvants vestiges, des aménagements internes et des objets du quotidien pour lesquels le temps s'est arrêté et seules la poussière envahissante et les toiles d’araignées témoignent de l’abandon de la ville.
La plupart des bâtiments sont fermés à la visite du public.
En plus des bâtiments, on retrouve de vieilles carcasses de voitures rouillées et du bric-à-brac qui traîne un peu partout.
Dans les maisons, les lits et les meubles sont toujours en place, les lampes à pétrole pendent encore aux plafonds et le bar donne l’impression d’avoir été occupé hier encore par les habitants de Bodie.
On peut considérer qu'il reste encore actuellement environ 5% des bâtiments d'époque en place et qui sont entretenus par des rangers.
C'est aujourd'hui et depuis 1961, un State Historic Park et National Historic Landmark.
Bodie, la ville fantôme, cette « Ghost Town », demeure un endroit fascinant, un lieu magique où le temps est figé au milieu du Far West.
Date de dernière mise à jour : 01/03/2023